mercredi 15 juin 2011

Vegetables

Eugène Grasset : La Belle Jardinière, 1896



Comme prévu depuis longtemps déjà, les légumes. Ce choix -les légumes parfumées- peut paraître un peu incongru, étant donné la masse plus que florissante, de très bons parfums dont je n'ai pas encore parlé. Mais les légumes - en partie parce que je suis une hipster de merde (je plaisante), est, je trouve, un très bon sujet assez décalé pour parler de parfums. Les fruits, les agrumes en particulier, occupent une place de choix dans le monde de la parfumerie. Pourquoi pas leurs compatriotes légumineuses ? Je suis d'ailleurs certaine qu'il y a au moins autant de personnes plus branchées « salé » que sucré dans ce bas-monde. Pourquoi leur dédaigner le droit de se parfumer comme leur aliment préféré (ironique) ? Certes, je ne sais pas si tout le monde prendrait de façons positive la remarque « Tu sens la betterave … » mais je préfère, personnellement, qu'on me fasse remarquer que je dégage un odeur de carottes râpées (si possible sans la vinaigrette) plutôt que le bonbon. Je n'ai plus 12 ans, et je ne suis pas une rédactrice de mode ultra bronzée obsédée par l'idée d'être boudinée dans son jean APC, accro au bio et au crudivorisme. Si le goût pour les sucreries peut facilement se justifier chez la première par le passage dans une phase de l'adolescence particulièrement ingrate, on ne m'ôtera pas l'idée que pour la seconde, cette tendance se manifeste par : 1) un goût de chiottes affirmé, et 2) une méconnaissance absolue du mot « hédonisme ».

Bon, je vais me taire maintenant. Ou mes lecteurs vont finir par croire que je suis sponsorisée par Le Labo.

Je commence tout d'abord en trichant un peu : dans mon grand potager olfactif, je vais démarrer en me penchant tout d'abord sur le sort des tomates. Comme tout le monde le sait, ces beaux végétaux charnus ne sont pas à proprement parler des légumes. Et ici, je ne parlerai non pas de l'odeur de leur chair, mais de celle, très particulière, de leurs feuilles (je re-triche). C'est cette note que l'on retrouve dans l'Eau de Campagne, composé par J-C Ellena pour Sisley. Il semblerait d'ailleurs que les restrictions de l'IFRA sur la stémone qui donne cette note de feuille de tomate, aient conduit à réduire sa concentration dans l'Eau de Campagne, laquelle a par la même occasion perdu un peu de son âme dans cette opération. Le second exemple de l'emploi de cet note est bien entendu L'Ombre dans l'Eau, dans laquelle la tomate ne se fait qu'artifice, au même titre que la rose, pour relever la fraîcheur et la verdeur du cassis, la vrai note « star » de cette eau de toilette. L'Ombre dans l'Eau, fausse rose et vrai parfum fruité. L'intérêt principal de la feuille de tomate étant surtout de diversifier la palette des notes vertes, dans laquelle on retrouve le galbanum, bien entendu, la note la plus utilisée (à relativiser puisque les parfums verts restent assez exceptionnels) et, dans une plus moindre mesure, le lierre ou la jacinthe.

Parmi les notes de légumes qu'on pourrait qualifier de grand public, on retrouve le concombre. Ce curcubitacé est exploité pour apporter une fraîcheur un peu juteuse, une note aquatique aux parfums. On peut le rapprocher de l'utilisation de la note melon ou pastèques, lesquelles sont toutefois plus riches et sucrées (allez-donc sentir Le Parfum de Thérèse pour vous en convaincre). Au concombre, on peut parfois reprocher son odeur aquatique un peu cheap, un peu plastique. Il n'empêche que, utilisée judicieusement, cette note peut donner de jolies choses. Utilisé en solinote dans le Splash Cucumber de Marc Jacobs (discontinué aujourd'hui, il me semble), il révélait une facette fraiche, un peu florale et légèrement miellée avec des notes de tilleul et de freesia. Un jolie eau de toilette simple, assez originale et sans prétentions, à mille lieux des néo-chypres fruits rouges de pouffiasses. Plus original, et plus poétique, Un Jardin Après la Mousson de Hermès (mon favori dans cette série de jardins) où cette fois-ci, c'était son côté froid, frais qui était exploité, mis en avant au coeur d'une structure combinant épices froides (cardamone en tête) et vétiver, bois froid lui aussi. Enfin, à titre tout à fait anecdotique, on retrouve également une note de concombre chez En Passant de Olivia Giacobetti aux Editions de Parfums Frédéric Malle.

Autre légume, plus underground celui-ci : la carotte. La note de carotte est une note que j'associe souvent à celle de l'iris, qui, outre sa fameuse facette violette, dévoile parfois un aspect vert un peu amer, râpeux. C'est cet iris qu'utilise le parfumeur pour apporter, dans les rares parfums où elle est ouvertement revendiquée, cette note de carotte. En plus de l'iris, la graine de carotte est aussi utilisée à cet usage, mais à titre beaucoup plus anecdotique (il me me semble qu'il n'y a guère que le parfum Nombril Immense de chez Etat Libre d'Orange qui la revendique dans sa composition). L'iris a donc cet avantage, avantage qui peut parfois donner des résultats sur peau assez … surprenants et inattendus lorsqu'on teste un soliflore à l'iris, lequel aura, sur un peau comme la mienne, immédiatement tendance à virer à la carotte. Hiris de Hermès, composé par Olivia Giacobetti, qui se veut poudré et végétal, éloigné de l'aspect cosmétique parfois associé à cette plante, fait partie des iris qui ont facilement tendance à jouer les bad boy légumineux. Et c'est encore pire pour Iris Silver Mist, sur ma peau en particulier. Tandis qu'une peau normale verra se développer des notes boisée, des notes de violettes, la mienne fait systématiquement virer l'iris du côté légume, et pire que du côté carotte. Iris Silver Mist, sur moi, c'est l'équivalent d'une roulade dans un champ de persil.

Mais nous sommes ici dans le domaine des notes de légumes non revendiquées. Chez les marques de niches, ce sont deux parfums qui revendiquent la carotte dans leur composition. Tout d'abord, I Love Les Carottes, composé par Olivia Giacobetti pour la marque bio Honoré des Prés joue à fond le registre solinote. Ici, nous avons une sorte d'hyper-carotte qui regroupe tous les aspects du légume, lesquels se révèlent au fil de l'évolution : le côté terreux, le croquant, la chair douce, un côté légèrement beurré, la légère amertume. Si Une Rose reprenait, en un seul parfum, toutes les facettes de cette fleur, I Love Les Carottes réussit l'exploit de faire la mère chose, mais avec un légume. Ce qui est autrement plus classe. Et enfin, chez Etat Libre d'Orange, la carotte est également présente en majesté, mais en duo avec un autre légume, le potiron.

Le potiron donc. Like This retravaille son aspect crémeux, un peu farineux. Je sais que la note en elle même est quelque chose de recherché, et non pas simplement incidente comme peut l'être la carotte chez Iris Silver Mist. Je ne sais vraiment pas comment Mathilde Bijaoui a réussi a l'obtenir mais je pense que c'est la combinaison immortelle-gingembre-vétiver-coumarine qui doit former le squelette nécessaire à la construction olfactive de cette note. Un vrai exploit qui a bien mérité sa récompense du Grand Prix des Spécialistes.

Et enfin, je termine comme j'ai pu commencer, en trichant un peu. Puisque ce dernier paragraphe sera consacré aux champignons, lesquels ne sont pas non plus des légumes, ni même des végétaux aux stricte sens du terme mais un groupe à part, génétiquement parlant (je voudrais bien vous donner plus de détails mais je fais des études de droit). Et le seul parfum dans lequel on retrouve cette note de champignon est bien entendu mon Dans Tes Bras bien aimé. J'en parlerai davantage dans un article à venir, puisque ce ne serait pas lui rendre justice que de lui consacrer uniquement un petit paragraphe au détour d'un article sur les légumes. Tout ce que je peux dire, c'est que c'est, de loin, la facette la plus inattendue de ce parfum. En terme de champignons, c'est des petits champignons de Paris frais qu'il se rapproche le plus. Certains évoquent une odeur de sous-bois, d'humus en parlant de cette note, mais pour moi, ce serait la champignonnière installée dans une grotte (à ce parfum, j'associe également le calcaire, puisque je lui trouve aussi une note de craie). Si cette note fait parfois quelques petites apparitions pendant l'évolution sur ma peau du parfum, je connais certaines personnes sur laquelle elle devient omniprésente, presque dérangeante, à la limite de la perversité.

(Et je pourrais continuer sur l'odeur de salade fraîche de M/Ink, ou la pomme de terre de Bois Farine, mais je pense que dans ces deux hypothèse, ça doit juste être moi qui ai un problème)

Je ne sais pas si c'est une tendance de fond, associé à la mode du bio, du retour à la nature et aux basiques comme le potage de grand-mère mais je pense que cette mode, bien que très minoritaire, pourrait très bien se développer. Par attrait pour la nouveauté, l'expérimental, mais aussi parce que, plus que les odeurs d'acier ou d'oxygène liquide, ces notes de légume ont quelque chose d'incroyablement réconfortant, et qu'elles font appel à un espèce d'inconscient collectif d'une espèce génération un peu paumée qui, aujourd'hui essaie, comme elle le peut, de se créer des racines. Parce qu'une odeur d'enfance au final, ce n'est pas seulement la fraise tagada un peu écoeurante qui colle aux dents, mais aussi celle de la soupe dans la maison de sa grand-mère.

Et histoire de continuer sur la nostalgie, pourquoi ne pas regarder un petit bout des aventures de Léguman, le justicier légume qui sévissait sur les écrans du service public et qui, avec ses collègues de Téléchat, a du traumatiser à vie une bonne poignée de mômes durant les années 80.

Si vous n'avez pas fini de revivre vos cauchemars d'enfant, je vous conseille plutôt porter une oreille attentive à ce chouette morceau des Beach Boys, nommé Vegetables, et qui, a ce jour, reste la seule chanson aux monde dédié aux légumes (mais j'avoue que quelques années plus tard, les Sparks ont fait quelque chose de pas mal dans leur genre en écrivant des chansons sur les ananas, les éternuements ou les moustaches). Et en bonus, on peut entendre Paul McCartney marquer le rythme en coupant en rondelles des carottes (enfin, personnellement, je pencherai plutôt pour la branche de céleri, mais bon ...)