(cet article est la réécriture de celui du mois de mai consacré à ce même parfum)
Coco est un parfum injustement méconnu. Inconnu dans le sens où sa petite soeur Coco Mademoiselle, qui n'a de parenté avec son ainée que le nom, est incroyablement populaire alors qu'en comparaison, Coco a l'air d'un parfum confidentiel. Ce n'est pas que l'insipide Coco Mademoiselle soit un mauvais parfum, mais en comparaison avec sa jolie grande soeur, ce néo-chypre propret - accessoire parfait des jeunes filles de bonne famille à mèche et sac Longchamp - fait bien pâle figure avec ses accents fruités et clean.
En comparaison, Coco a une sensualité plus affirmée, et en même temps plus ambigüe. Fausse femme fatale et vraie ingénue ? Ou l'inverse. Car Coco est un parfum qui se remarque. Première composition du nez Jacques Polge au sein de la maison Chanel, ce jus sorti en 1983 a été inspiré par une visite du parfumeur dans les appartements de Gabrielle Chanel, au 31 rue Cambon. Un lieu marquant, baroque, avec ses tentures, ses sculptures et ses paravents de laque. Jacques Polge en a tiré un parfum oriental complexe et savoureux.
Ses accents orientaux l'inscrivent directement dans l'optique des parfums capiteux de l'époque, initiés en grande partie par Opium de Yves Saint-Laurent, sorti en 1977 (ou Youth Dew de Estée Lauder pour certains). Les adjectifs ne manquent pas pour décrire Coco. Ce parfum s'ouvre sur une tête bergamottée renforcée par de la coriandre, épice aux accents citronnés. Très vite, un coeur floral moelleux et épicé s'épanouit, comme pour faire écho à Opium, justement (mais en moins épicé): des roses, du jasmin, de l'ylang-ylang travaillé en sourdine, du clou de girofle et une note de pêche. La même que l'on retrouve dans Mitsouko. Si celle de Mitsouko faisait écho à l'odeur incroyable d'une peau de femme, un peu poudrée, celle de Coco est vive, perçante, c'est l'odeur de la peau d'une femme fatale. En plus de la pêche, on peut distinguer de la prune, très certainement due à l'emploi d'une molécule nommée prunol. Mais ces notes de fruits sont liquoreuses, à la limite de l'odeur entêtante et légèrement écoeurante de fruits qu'on aurait laissé pourrir au soleil. Chose intéressante, le prunol sera très largement réutilisé quelques années plus tard dans un parfum qui, lui, semble s'inspirer encore plus directement de Mitsouko, à savoir Féminité du Bois. Les notes de fond ne sont pas plus apaisées : un santal rond et chaud renforcé par de la vanille et de l'ambre, et les notes animales de la civette, débarrassée ici de ses relents un peu fécaux.
Construit comme un parfum de brune, Coco varie sur chaque peau, et peut prendre des accents plus fragiles, comme peut parfois le faire Mitsouko. Coco est une armure dans laquelle la garçonne ou la femme fatale s'affirme, et dans laquelle l'ingénue cache ses failles, comme derrière un rouge à lèvres sang ou une paire de talons. L'ingénue qui veut se sentir invincible, ou la vamp qui a peur de ses faiblesses. Et telle est Louise, l'héroïne des Nuits De La Pleine Lune, film de Eric Rohmer sorti justement en même temps que Coco.
Les Nuits de la Pleine Lune est le quatrième film de l'ensemble des six films qui constituent la série des Comédies et Proverbes, illustrants chacun une citation où un proverbe. Les Nuits de la Pleine Lune ou « Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa maison », proverbe de la province de Champagne.
Partagée entre son Marne-la-Vallée et le quartier latin, Louise (interprétée par Pascale Ogier) badine avec l'amour. Elle aime son fiancé Rémi mais elle lui est insaisissable. En voulant profiter de sa jeunesse et jouir de sa liberté, elle joue avec le feu. D'abord avec le désir qu'elle lit dans les yeux de son ami Octave (Fabrice Luchini), écrivain qui souhaiterais la voir à ses côtés plutôt qu'avec. Puis avec un inconnu croisé à une fête chez son amie Camille, fête à laquelle se croisent Octave et Rémi. Commence alors un jeu de séduction plus ou moins conscient entre les différents personnages. Louise joue avec l'amour en voulant assurer son indépendance et s'éloigne de son fiancé, prétendant que s'il le veut, il peut être libre lui aussi.
Mais c'est en comprenant le jeu que joue Louise que Rémi finit par la perdre. Alors qu'elle décide de revenir vers lui, il ne l'aime plus, car de son côté, il en aime un autre. Comme toujours, Rohmer décrit avec subtilité les rapports amoureux entre les êtres, dans un langage qui n'appartient qu'à lui. Un film d'une surprenante musicalité, où le phrasé particulier de Pascale Ogier se mêle à celui de Fabrice Luchini, le tout avec la musique d'un groupe que j'adore, Elli & Jacno, qui ont composé la BO du film. Fait intéressant, la chanteuse du groupe, Elli Medeiros fait une apparition en cameo au moment de la scène de danse chez Camille, sur sa propre chanson, Les Tarots.
Louise est ainsi le prototype même de la femme que je verrais porter Coco, forte et fragile, bien loin de l'image renvoyé par la publicité de Jean-Paul Goude avec Vanessa Paradis en petit oiseau en cage. Publicité superbe, certes mais Vanessa Paradis manque de force pour incarner Coco. Mutine, fatale et un brin énervante, autant d'adjectifs qu'il est possible d'attribuer à Louise, ou à Coco.
Enfin, revenons à Coco Chanel, la vraie. On peut s'étonner qu'une femme ayant une vision aussi sobre de la mode féminine puisse vivre dans un appartement au décor aussi chargé J'ai lu quelque part dans un livre de l'auteur britannique E M Forster que la maison, l'endroit où nous habitons est en réalité le reflet de notre âme et qu'à ce titre, une maison pourra plus nous renseigner sur son habitant que la personne elle même. Pour Chanel, je pense qu'il n'est pas étonnant de la savoir vivre dans un tel endroit : avec sa personnalité complexe, son appartement baroque ne pouvait être que le reflet de son âme.
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