(Attention, cet article s'inscrit dans une ambiance prout-prout très : « Soupirons dans les fleurs et morfondons-nous dans notre tasse de thé tout en nous prenant très au sérieux ... »)
Créer un parfum, c'est un peu essayer de capturer l'air du temps.
Sauf lorsque celui-ci emprunte un parti-pris absolument atemporel. Bien entendu, chaque parfumeur souhaitera créer l'Oeuvre Ultime, la création qui perdurera, se moquant des années qui passent. Mais il n'empêche que les fragrances aussi sublimes que peuvent être Jicky, Habanita, ou encore le N° 19 trahissent l'époque à laquelle elles ont été créées.
Je ne parle pas non d'une volonté quelconque d'apporter un côté délibérément rétro à un parfum. Le bouquet floral de Une Fleur de Cassie (un parfum que j'adore), rendant ostensiblement un hommage d'une rare élégance à la parfumerie des années 1930 en dit beaucoup plus sur les années 2000, date de sa composition, que sur les années 30 elles-mêmes.
Non, il s'agit bien de créer une fragrance dont on ne saurait dire si elle a un siècle ou dix ans, sans aucun lien olfactif avec une époque quelconque dans laquelle elle serait malgré elle enfermée.
Bien peu de compositeurs arrivent à cet exploit.
Mais malheureusement, en France plus qu'ailleurs, nous avons cet espèce de chauvinisme olfactif qui ne nous pousse pas forcément à tendre notre nez plus loin que les marques créées par nos compatriotes (mais il est vrai que la gamme en question est assez large …). On oublie cependant que de l'autre côté de la Manche, l'on sait également faire des parfums, différents de ce que l'on connaît en France, certes, mais qui ont aussi leurs qualités intrinsèques : tradition, belles matières premières, élégance et discrétion. La parfumerie anglaise défie le temps, les années sans prendre sans la moindre ride tout en conservant cet espèce de charme délibérément suranné. Et d'ailleurs, qui, mieux qu'un parfumeur anglais, pourrait recomposer la délicate odeur d'une roseraie au mois de mai, encore baignée de rosée ? Il faut bien l'accorder, Sa Majesté la Rose, ainsi que L'Ombre Dans l'Eau sont d'assez beaux exemples de ce que la parfumerie française peut accomplir en matière de roses discrètes et naturelles. Mais c'est définitivement la timide Elisabethan Rose de Penhaligon's qui a su me séduire.
Et qui aurait pu deviner que ce parfum est sorti la même année que Coco, un an avant Poison ?
Avec Elisabethan Rose, Penhaligon's reprend la tradition anglaise du soliflore qu'elle avait déjà exploré en offrant déjà quelques années auparavant des compositions magistrales : Bluebell (odeur de jacinthe verte et fusante dans les sous bois), Violetta (une sombre violette boisée) ou encore Lily of The Valley (un délicat muguet aux inflexions légèrement cosmétiques).
La rose ici est légère, verte. Elle s'ouvre sur quelques aldéhydes piquants, renforçant les notes de géranium employées pour leur côté frais, donnant l'impression que la fleur vient juste d'être cueillie. Un accord de rose et de violette compose ensuite un coeur beau et simple à la fois, comme si l'on avait repris l'idée générale du Paris de Yves Saint Laurent mais en le débarrassant de ses lourdeurs « grande cocotte » qui m'est non seulement insupportable mais qui « date » horriblement ce parfum. Donc un coeur simple, mais incroyablement proche de l'odeur de la rose de mai telle qu'on peut la sentir dans un jardin (que j'allais qualifier de « à l'anglaise). Je devine également du galbanum employé en petites touches afin de faire ressortir le côté « vert » de la plante. Le fond est luis aussi d'une extrême simplicité : santal, muscs, ambre. Il faut le dire, nous sommes bien loin ici de la délicieuse rose baroque de Une Rose.
Elle m'apparaît cependant d'une précision presque anatomique, comme si l'on avait voulu en capturer l'essence en la dessinant avec la précision d'un botaniste du début du XIXe siècle. Quelques lignes, un trait clair, pas trop chargé. Une esquisse de rose ancienne.
Pierre-Joseph Redouté : Rosa Centifolia
C'est une fragrance qu'on devinerait aisément porté par une Lady peinte par Gainsborough. L'odeur simple d'une rose Cuisse de Nymphe, le matin sous la rosée. L'aura d'une héroïne de Jane Austen.
Thomas Gainsborough : La Promenade Matinale
Bref, l'odeur d'une Angleterre aux accents rétros, celle des Kinks et des cottages, des soeurs Brontë et des parcs paysagers, des tasses de thé et de Saville Row.
Ah j'avais pas vu cet article ! Ca fait plaisir :D !
RépondreSupprimerEnfin bon. C'est horrible à dire derrière un texte si joli (prout prout certes, mais bon), mais ya pas moyen : cette rose là, je ne PEUX pas !
Je suis difficile en rose (quoique... Iroaz me va très bien !), et cette rose montre tout ce que je n'arrive pas avec cette matière : le bois du cercueil. C'est horrible. Passez moi une mouillette de ce parfum, et me voila à cotoyer une pauvre vieille mamie toute seule chez elle avec son pot pourrie, prête à mourir au moindre choc.
J'aspire encore à la joie de vivre. Et avec tout l'amour que je porte pour mes confrères anglais, allons plutôt jouer du côté du lys et des épices !
J.