lundi 8 novembre 2010

Portrait of a Lady



Contrairement au parfums d'autres maisons, ceux réunis par les Editions de Parfums Frédéric Malle n'ont pas cette cohérence qu'aurait une collection regroupant les oeuvres d'un seul et même artiste ; où l'on sentirait la patte particulière d'un seul et même maître, auteur de toutes les oeuvres réunies sous un même nom - je pense notamment aux parfums Serge Lutens qui, presque sans aucune exception, portent la marque distinctive du tandem Serge Lutens – Christopher Sheldrake ; ou encore aux dernières créations Hermès, oeuvres d'un seul et même homme, Jean Claude Ellena.

La collection présentée par les Editions de Parfums me ferait plutôt penser à des oeuvres appartenant à différentes époques, écoles et auteurs qu'un amateur éclairé aurait réunies. De fait, les Editions de Parfums Frédéric Malle ne semblent pas transcrire l'univers d'un « nez » en particulier, mais témoigner des goûts exquis de l'homme qui a pris le soin de regrouper ces mêmes oeuvres.


Portrait of a Lady est la dernière acquisition de cet esthète, inscrit dans une esthétique délibérément rétro.


Léonard de Vinci, La Belle Ferronnière. Je voyais plus la Lady comme une beauté peinte par le Titien, mais ce tableau se rapproche plus de l'état d'esprit du parfum. Les oeuvres de Titien sont trop sensuelles.


Je reconnais ne pas avoir prêté beaucoup d'attention au parfum la première fois qu'il m'a été donné de le sentir, ceci étant dû à mon excitation. Et j'avoue avoir été déçue, à la première olfaction, par une similarité avec Une Rose dont j'aurais préféré ne pas remarquer l'existence. Je n'avais tout simplement pas compris. J'avais certes saisi sa beauté, mais pas l'essence de cette beauté. Parce que Portrait of a Lady est d'une complexité telle qu'il faut du temps pour pouvoir comprendre un tel chef d'oeuvre.


La beauté de Portrait of a Lady est cérébrale. Sa séduction n'a pas pas l'évidence d'un Shalimar ou même d'un Féminité du Bois, bien que ce parfum partage avec Portrait of a Lady la même intelligence. Pour un parfum comme Shalimar, la séduction opère par la rondeur, la chaleur qui se dégage du parfum. Ici, la Lady est d'une austérité presque monacale. Austère, mais extrêmement complexe.


La première chose qui m'ait frappée, c'est la rose. Une rose thé, mais sans la rondeur et la fraîcheur habituelle qui lui est habituellement dévolue, et qu'on retrouve dans la parfumerie anglaise, par exemple. Jusqu'ici, la seule rose thé (que je connaisse) qui soit traitée sur un registre oriental et chaud a été Opôné, une petite merveille enrobée d'épices et en particulier de coûteux safran. Une rose anglaise qui se serait égarée sur un marché aux épices au moyen orient. La parenté avec Opôné ne me semble pas fortuite : c'est en effet à ce parfum, et avant même avoir songé à Une Rose que m'a fait penser Portrait of a Lady.

Mais ici, la rose n'est pas aussi moelleuse que peut l'être Opôné : les épices sont bien présentes, mais la cannelle et le clou de girofle ne l'habillent pas avec la même chaleur.


Cette rose épicée, s'épanouit sur un lit de fruits, légers – framboise, cassis et pêche, bien que cette dernière ne soit pas mentionnée dans la description officielle - qui viennent apporter de la rondeur à un parfum dans l'ensemble très rêche. Ces fruits ressortent comme s'il avaient été peints sur un fond noir dans une nature morte baroque. Ils ont ronds, luisants, à la fois extrêmement détaillés et très peu réalistes, donnant au début de la composition une légère inflexion ronde et sucrée.


Comme pour Une Rose, le parfum gravite autour d'une note de rose que les autres notes viennent habiller. Mais au cours de l'évolution, la rose se transforme subtilement en un beau patchouli âcre, un patchouli qui devient alors le centre gravitationnel du parfum. Contrairement à d'autres fragrances où rose et patchouli s'affrontent dans une sorte de clair obscur aux contrastes éclatants, ils jouent ici un rôle complémentaire pour mieux se confondre dans les notes de coeur, et subtilement se substituer l'un à l'autre sans jamais totalement disparaître alors que le parfum continue d'évoluer.

Le patchouli ici est âpre et sec, avec une odeur de moisi très caractéristique. L'odeur me fait ici penser à celle d'un vieux livre que l'on vient d'ouvrir, ces volutes odorantes un peu irritantes qui viennent nous piquer le nez avec leurs relents anciens de moisissure. Moisissure noble bien entendue, qui s'accompagne d'une sorte de « lutensinade* » - la comparaison avec Féminité du Bois n'était pas fortuite - enrobant cet accord de patchouli de notes plus douces et orientales. Encens, santal et cèdre (sans les notes de fruits confits chères à M. Lutens) apportent au patchouli une noblesse qu'il n'aurait peut être pas su atteindre seul. Mais malgré cette somptueuse parure olfactive, le patchouli de Portrait of a Lady ne parvient pas à se débarrasser de son austérité, et n'acquiert pas le côté sensuel qui est pourtant souvent attaché à cette odeur. Reste son incroyable intelligence, et c'est dans cela que résume le génie du travail de Dominique Ropion : la création d'un oriental non sensuel, ou du moins, à la sensualité pas si évidente.



Un parfum hybride, entre floral épicé et oriental boisé, une confusion olfactive entre les notes de roses et de patchouli, l'un devenant l'autre sans que l'autre disparaisse complètement … Un grand parfum qui semble jouer les sur les règles de la parfumerie classique pour mieux les transgresser sans pour autant choquer les sens. Un parti pris réussi, donc, pour un parfum cérébral qui demande qu'on prenne le temps de le comprendre afin de mieux en apprécier la subtilité.



*Par « lutensinade », j'entends l'accord très particulier cher aux parfums Serge Lutens que l'on retrouve dans des parfums tels que Féminité du Bois, Five O'Clock au Gingembre, Serge Noire, Fille en Aiguilles pour ne citer qu'eux. Il s'agit d'un accord oriental très particulier qui se compose principalement d'encens, de bois (santal et cèdre le plus souvent, parfois du patchouli) et de fruits confits, assortis d'épices chaudes. La « lutensinade » serait aux créations Serge Lutens ce que la Guerlinade est à la maison Guerlain.

1 commentaire:

  1. Je ne sais pas si tu l'as fait exprès, mais l'oeuvre de De Vinci que tu as choisi, c'est une des toiles qui me fait le plus peur !

    Une fois au Louvre, je m'étais mis en d'ailleurs devant elle, et je lui ait fait une bataille de regard ^^ (devant les expressions ahuries des japonais XD !)

    Je ne sens pas du tout la dimension fruitée que tu décries, plus celle un peu fruit sec, Lutens. Mais peut être que, comme c'est un absolu de rose, les facettes fruitées naturelles de la rose ressortent ? Bon après je dis ça, je n'arrive pas à les sentir sur ta mouillette !

    Vive l'odorat ! (et bravo, je l'aime beaucoup)

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